Travel Stories

Je discutais avec un collègue de la crise mondiale qui nous affecte tous de près ou de loin. Je suis confinée à mon domicile depuis un peu plus de deux mois. C’est parfois compliqué mais j’essaie de le prendre avec beaucoup de philosophie. Mon collègue m’expliquait que même dans ses rêves les plus fous il n’aurait jamais pu imaginer la fermeture des frontières. Il avait presqu’oublié qu’elles existaient. Ce sont ces mots. Il est Français et il a toujours énormément voyagé. Son père s’expatriait tous les 2/3 ans pour raisons professionnelles. Il a donc passé sa vie à déménager d’un pays à l’autre.

Une fois devenu adulte, il a continué à voyager et a fini par s’installer ici il y a quelques années. Voyager d’un pays a un autre et passer les douanes a toujours été quelque chose d’anodin pour lui. Il me racontait même qu’il lui arrive souvent de débattre avec des douaniers quand ces derniers lui refusent de faire entrer tel ou tel produit / quantité sur le territoire quand il était certain d’être dans son bon droit. Il n’a jamais eu de mal à se déplacer et cette crise mondiale a été un choc qui le fait réfléchir à son rapport au voyage. Il m’a avoué qu’il ne prendrait plus jamais pour acquis le fait de sauter dans un avion pour « aller voir le monde ».  Son récit et la désinvolture avec elle laquelle il relatait son rapport au voyage (avant le confinement) m’ont quelque peu troublée certes mais ne m’ont pas vraiment étonnée. J’ai toujours été consciente que le fait de pouvoir voyager est un privilège (et un luxe) mais j’ai aussi rencontré beaucoup de voyageurs qui pensent que le fait de voyager est une activité accessible à quiconque s’en donne les moyens.

J’ai une expérience du voyage aussi vaste que celle de mon collègue mais nous n’avons absolument pas la même approche et le même rapport au voyage. Il ne me viendrait jamais à l’idée par de contredire un douanier.  Je me fais toujours toute petite quand je passe alors que je n’ai rien à me reprocher et je ferme ma bouche quand on me parle mal et qu’on me méprise aux douanes. La fermeture des frontières ne resonne pas de la même façon chez moi. A vrai dire je suis plus inquiète pour mes proches que je ne pourrais pas voir de sitôt que pour ma capacité à jouer les touristes.  Une des phrases de mon collègue m’a particulièrement marquée. Il a dit que « nous vivions presque dans un monde sans frontière et qu’avant on pouvait aller où on veut quand on veut. »  C’est assez intéressant car je n’ai jamais eu l’impression qu’il n’y avait presque plus de frontières. Les longues heures passées dans des ambassades et autres consulats à demander un visa et ce dès mon plus jeune âge, m’ont toujours rappelé que les frontières sont bien réelles. Voyager n’a jamais été quelque chose que je pouvais faire de manière spontanée. Il fallait que je me prépare, que j’intègre la possibilité que mon visa soit refusé et, tant que je n’avais pas passé les douanes, je n’étais jamais certaine de l’issue de mon voyage. Il a toujours fallu que je prenne un billet remboursable, juste au cas où. Quand j’ai quitté le Sénégal pour aller étudier en France, j’ai eu mon visa quelques heures avant le décollage de l’avion. Je n’ai jamais pu aller dans certains pays d’Europe lorsque je vivais en France ; parce que j’avais la flemme de me farcir une énième une demande de visa. Pendant mes études, je n’avais pas le droit de participer au programme Erasmus. J’ai dû renoncer à un stage en Australie car ma demande de visa n’a pas abouti. Des anecdotes de ce genre, j’en ai à la pelle.  La liste de pays où il me fallait un visa en tant que citoyenne Togolaise est kilométrique longue. Je ne compte pas non plus les moments importants de ma vie où j’ai dû faire avec l’absence de mes proches qui n’avaient pas eu leurs visas. Je ne vais même pas parler des pays et /ou des régions je ne dois pas me rendre si je veux être en sécurité.

Tout ça pour dire que fermées ou pas, les frontières ont toujours été bien réelles pour moi. Contrairement à mon collègue, je n’ai jamais eu l’impression qu’elles n’existaient pas.  J’en ai toujours eu conscience ; j’ai toujours su qu’il fallait que je sois irréprochable si je voulais avoir une chance d’obtenir le droit de passage, si je voulais arriver à destination une fois le visa obtenu. Je sais aussi que les critères d’attributions de visas dans certains pays sont très aléatoires et j’ai toujours fait avec. J’ai aussi vu la différence de traitement une fois le passeport français obtenu. La liste de pays où je pouvais me rendre sans visa s’est allongée comme par magie. Les frontières n’ont pas la même signification en fonction du passeport qu’on a main mais une chose est sure, qu’elles soient ouvertes ou pas, elles ont toujours existé. Il n’y a qu’à voir la rapidité avec laquelle elles ont été refermées lorsque la crise mondiale s’est déclarée.  Chaque pays s’est barricadé sur son territoire, pour se protéger.

Voyager est un privilège, un luxe qui est intimement lié au statut social, au passeport, au genre, à la condition physique de l’individu, etc. Je pourrais continuer encore et encore tant la liste est longue. Tout le monde ne peut pas se lever la fleur au fusil et décider d’aller jouer les globetrotters comme ça lui chante.  Je trouve ça intéressant qu’il ait fallu une crise de ce genre pour que mon collègue réalise son privilège ce n’est pas plus mal.

Je ne sais pas si (et quand) on pourra voyager « comme avant » mais une chose est sure cette crise mondiale que nous vivons, a ébranlé pas mal de certitudes…

 

 

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Catégories :Une vie de Gaou

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