Le racisme et les violences policières envers les noirs, est un thème récurrent dans mon quotidien depuis que je suis jeune. Je me souviens de la toute première fois où j’ai pleinement pris conscience de l’intensité de ce mal qui gangrène la société. J’étais adolescente et je venais de lire que le jeune Amadou Diallo un immigrant Guinéen de 23 ans avait été tué par la police. Le jeune homme est décédé après avoir reçu 41 balles. Je ne le connaissais pas mais sa mort m’avait profondement touchée. Je ne réalisais pas trop encore que ce serait le premier d’une longue série. Depuis une quinzaine de jours, l’actualité est particulièrement anxiogène. A moins de vivre dans une bulle spatio-temporelle, on a tous eu vent de l’actualité récente. On a beau être en pleine pandémie, le racisme continue à faire des ravages. On a beau être en pleine crise sanitaire, les noirs doivent plus se préoccuper du racisme et des violences policières que de la COVID-19. Je suis de près ce qui se passe, je participe comme je peux à mon petit niveau. Je comprends la colère et la rage. Je comprends l’épuisement moral. Je comprends le ras le bol.
Je connais la confusion et le sentiment d’injustice que l’on ressent quand on subit son tout premier contrôle au faciès, mais aussi la résignation après le énième contrôle injustifié. Je ne connais que trop bien cette angoisse, cette peur qui te prend aux tripes quand tu croises la police alors que tu n’as absolument rien fait. Je ne connais que trop bien cette boule que tu as au ventre quand un être cher sort et que tu te demandes s’il rentrera en sécurité ou s’il deviendra un énième fait divers, un foutu hashtag.
Quand il y a eu l’incident à Central Park, Je me souviens avoir lu sur les réseaux sociaux que vivre au Canada, partager une frontière avec les USA, c’est avoir l’impression de vivre au-dessus d’un labo qui produit de la meth. Ça avait beaucoup fait rire. Et puis la nouvelle est tombée ; la comédienne de Central Park, cette sorcière de la pire espèce qui était prête à mettre la vie d’un homme en danger, tout simplement parce qu’il lui a demandé de respecter le règlement du parc… est Canadienne. À la suite de cette révélation, j’ai vu passer une série de publications sur les réseaux, de personnes non concernées, qui insistaient sur le fait qu’elle ne représentait en aucun cas les vrais Canadiens et qu’il n’y avait absolument pas de racisme au Canada. D’ailleurs dans un des commentaires qui s’évertuait à démontrer que le racisme n’a jamais existé au Canada (oui rien que ça), un ignare expliquait (après avoir tenu des propos bien racistes) que contrairement aux Etats-Unis, le Canada, n’avait pas pratiqué l’esclavage et que bien au contraire le pays sauvait les esclaves. Cette déclaration scandaleuse et erronée, ce n’est pas la première fois que je la lis / l’entends. Entendons-nous bien, je ne nie pas que de nombreux esclaves en quête de liberté trouvaient refuge au Canada via le fameux chemin de fer clandestin. Mais affirmer n’y a jamais eu d’esclaves ici c’est un mensonge pur et simple. L’esclavage des Noirs et des Autochtones a duré plus de 200 ans au Canada. C’est un fait historique et le nier ne le fera pas disparaitre. J’entends souvent aussi dire qu’il était plus doux qu’aux Etats Unis et dans les Caraïbes. Je ne vais pas gaspiller de l’énergie ici pour expliquer à quel point le concept « d’esclavage doux » est d’une absurdité, d’une barbarie et d’une sauvagerie sans nom.
L’histoire coloniale du Canada est aussi une histoire faite de violence et de genocide.
Une des particularités du racisme canadien, c’est la force et la véhémence avec lesquelles beaucoup de personnes non concernées sont prêtes à nier son existence au point d’en oublier leur propre histoire. Les gens débattent non pas pour essayer de comprendre et changer les choses mais uniquement pour contredire, nier, répliquer et / ou insulter révélant au passage leur vraie nature. C’est ce qui a mon sens rend la chose d’autant plus violente. Ce déni perpétuel de ton humanité, de ton existence et de ton expérience de vie est éreintant.
Deux jours après le décès de George Floyd, il y a eu la mort de Regis Korchinski-Paquet, cette afro Canadienne est décédée à Toronto lors d’une intervention policière dans son appartement. La police parle d’un suicide, la famille accuse les policiers de l’avoir tuée. Une enquête est en cours…
Le Premier ministre Canadien a déclaré dans les médias que le racisme systémique est une réalité au Canada. Le premier Ministre Québécois lui estime qu’il n’y a pas de « système de racisme au Québec » et que les contrôles au faciès ou profilage racial comme on dit ici (dont j’ai moi-même été victime d’ailleurs) sont le fait d’une petite minorité de policiers. C’est à se demander s’il a lu le rapport qui indique que les noirs et les autochtones ont 4 à 5 fois plus de chances d’être contrôlés par la police à Montréal.
Ahmed Hussen, le Ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social a quant à lui déclaré dans un tweet que le racisme ne s’arrête pas à la frontière. Dans les commentaires, on lui demande de retourner en Somalie, on le traite de menteur, d’ingrat et de qualificatifs que je n’ai pas la force de relayer ici. Des temoignages de personnes issues des minorités visibles et victimes de racisme au quotidien, il en y a la pelle, il y a aussi des chiffres et des études qui sont faites sur le sujet; le racisme reste pourtant un sujet tabou…
Ici aussi on a eu les manifestations contre le racisme ; celle qui a eu lieu à Montréal il y a 15 jours était pacifique et a fini par dégénérer parce que des têtes brûlées ont décidé de venir foutre le bordel. Ici aussi de nombreux militants travaillent d’arrachepied depuis longtemps pour faire changer les choses. Je ferai d’ailleurs un billet sur les ressources auxquelles j’ai eu accès pour m’éduquer sur la question dans le contexte canadien, grâce au travail extraordinaire de ces personnes. Ici aussi on a droit au silence problématique de pas mal de personnes qui continuent à faire comme si de rien n’était (on vous voit).
Ici aussi l’atmosphère est lourde depuis trop longtemps.
Le racisme systémique est une réalité au Canada et les violences policières ne sont qu’une infime partie du problème. Le racisme n’est peut être pas flagrant au premier coup d’œil (pour les immigrants ou les touristes qui debarquent ) mais quand on y regarde de plus près on réalise qu’il est bien là. Ce n’est pas en l’ignorant ou en essayant de le masquer sous le vernis de la bien-pensance et de la fausse positivité qu’on va lutter contre de manière efficace. Il est temps que les choses changent ; il est temps que nos sociétés et nos politiques posent des actes concrets pour que nos enfants n’aient plus à subir ces injustices qui nous traumatisent depuis bien trop longtemps.
La photo est de moi et a ete prise hier pendant la manifestation anti raciste de Montreal
Catégories :Les Gaous au Canada
Purée mais c’est tellement vrai ce que tu dis. À la manifestation , dimanche dernier, un couple de personnes âgés avaient les mêmes propos comme quoi c’était grave ce qui se passait aux États Unis comme si au Canada c’était parfait! Ça m’a soûlé, heureusement que j’étais avec ma copine. Elle a pris le relai. Ici , beaucoup sont dans le déni et c’est franchement fatiguant.
Merci pour votre lettre qui nous permet d’appréhender la réalité canadienne. Très instructif.. M.Abado(cousine de Maritxu)
Merci pour ton billet. Je rajouterai qu’il ya aussi dans nos communautés noires des gens qui pensent qu’ici au canada ça va ya pas de racisme .pas plus tard qu’hier jai eu une discussion avec la copine d’un ami qui disait que si on subit le racisme c’est de notre faute .j’étais écœurée,je lui ai dit stop va te documenter après on en reparlera.
Merci pour ce post, ta liste de ressources m’intéresse beaucoup.