Des Racines et des ailes…

7019348-sunrise-morning-mistIl y a quelques temps, je discutais avec un collègue de ma vie de nomade. En effet si vous suivez le blog, vous savez que je n’en suis pas à ma première expatriation / immigration ; j’espère aussi que ce ne sera pas la dernière. Mon collègue, immigrant lui aussi, m’a dit qu’il habitait la même maison depuis 23 ans et que ça ne lui serait pas du tout venu à l’idée de déménager quand il avait mon âge. Il a deux filles et selon lui ça aurait été les trahir que de bouger de pays en pays ou même de ville en ville comme je l’ai fait. Pour lui c’était important que ses enfants aient des racines profondes et ce n’est pas compatible avec une vie faite d’exil et d’errance. Il ne voulait pas que ses enfants aient des problèmes d’identité. Aujourd’hui il estime avoir fait le bon choix car elles se sentent parfaitement Canadiennes, elles ont vecu dans la même maison toute leur vie. Elles ne se demandent pas qui elles sont vraiment. Il a fait ce choix parce qu’il est arrivé très jeune de son pays d’origine et il a longtemps eu l’impression d’être déraciné, ni d’ici, ni de là-bas. Coincé entre deux mondes qui ne se ressemblent pas du tout. Il m’a demandé si j’estimais avoir des racines et comment je comptais les transmettre à mon enfant.

Même si je comprends mon collègue et que je trouve ses craintes justifiées, je ne partage pas son point de vue. Je ne me suis jamais vraiment posée de questions quant à mon identité, mes racines et mes nombreuses expatriations. Pour moi ce sont des choses qui bien qu’étant différentes, ne sont pas incompatibles. Si je devais résumer mon ressenti concernant ce sujet (et mon histoire) de manière très simpliste, je dirais ceci :

1/ Je suis née au Sénégal d’un père Togolais et d’une mère Afro-Allemande ; la famille de mon père est originaire du Benin et celle de ma mère du Ghana (mes racines) ;
2/ Je suis Franco-Togolaise (mon identité)
3/ Je vis au Canada (pays de mon expatriation la plus récente).

Je sais que ça fait beaucoup de pays pour une seule personne mais ça ne crée aucune confusion dans mon esprit. Je ne me suis jamais considérée comme étant Allemande par exemple et ce même après y avoir vécu 6 mois. C’est un pays que j’aime de tout mon cœur mais ça reste le pays où ma mère a fait sa vie après ma naissance.

Je (usage du pronom personnel et donc avis subjectif) pense que les racines ne sont pas forcément liées avec l’endroit où on a grandi ; mes racines selon moi, c’est surtout l’histoire de ma famille. Mes racines sont togolaises ; elles m’ont été transmises par mes parents. Elles sont intimement liées à mon histoire familiale et à celle de mes parents. La discussion avec mon collègue m’a interpellée parce-que je vous avoue que je ne me suis jamais vraiment posée la question des racines et de l’immigration. Je ne me suis jamais dit que ma fille pouvait avoir un problème d’identité parce qu’elle aura passé sa vie à voyager avec ses parents puisque je n’en ai pas moi-même. Est-ce que j’ai parfois l’impression de ne plus tout à fait être Togolaise ? Oui, l’exil m’a changée, c’est vrai mais je ne considère pas ça comme une mauvaise chose. Ces voyages ont bâti mon identité ; ils ont forgé celle que je suis aujourd’hui. Mais la base, les fameuses racines, ce sont les valeurs, l’histoire familiale (qui inclut mon arbre généalogique), que mes parents m’ont transmis. Elles font parties de moi, je ne les oublie pas mais elles ne m’empêchent pas d’avancer. Je peux comprendre ce besoin de se fixer quelque part, il m’arrive de le ressentir ; mais il ne devrait pas être nourri par la peur de perdre ses racines. Je pense qu’il revient aux parents de mettre en valeur leur(s) langue(s), leur(s) histoire(s), leur(s) patrimoine(s) et leur(s) folklore(s). Un enfant qui vit à l’étranger peut embrasser la culture de ses parents tout en ayant un sentiment d’appartenance à son pays d’accueil. Les deux ne devraient pas être incompatibles selon moi.
Je fais de mon mieux pour transmettre à ma fille son histoire familiale. Il y a quelques années, j’ai commencé à mettre l’histoire de notre famille par écrit ; avec son arbre généalogique (en remontant aussi loin que possible), les traditions, les coutumes et les rites. J’y inclus photos, correspondances, anecdotes ; je le détaille tant que faire se peut. C’est quelque chose que je me suis toujours promis de faire pour mon premier enfant. Je prie pour qu’elle prenne autant plaisir à le lire que moi à le faire. J’espère que ma fille se sentira à l’aise partout sans pour autant avoir l’impression de sortir de nulle part ; j’y veillerai comme l’ont fait mes parents avec moi.

Je vais finir avec ce proverbe qui illustre parfaitement ma pensée : « On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes »…

Source de l’image ici



Catégories :Une vie de Gaou

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19 réponses

  1. J’aime ta conclusion… difficile pour moi d’avoir un avis : je n’ai jamais quitté la Belgique et je vis dans la maison de mes grands parents… en matière d’aventure, il y a mieux ^^ Bon, après le barbare vit à 1200 km de sa région d’origine… Tout cela fera partie de l’identité de la poulette… Ce qu’elle en fera ? on verra… Je pense que le rapport aux racines dépend de plein de choses et sans doute de la manière dont les parents expliquent les choses à leurs enfants… Je suppose que ton collègue a du très mal le vivre dans son enfance… Bisous

    • Oui je pense que tout depend de la maniere dont on vit les choses (enracinement / expatriation); si on le vit bien on transmet du positif. Comme tu dis mon collègue a du très mal vivre sa vie de jeune expat …
      Bises

  2. Je suis tout à fait d’accord avec toi. On a pas mal bouge avec les deux grands, mais la stabilité c’est notre cocon familial, peut importe l’endroit. Les racines ne sont pas juste géographiques, ce sont des valeurs, une éducation, qui dépendent peut être culturellement d’un pays d’origine mais qui peuvent se transmettre ailleurs.

  3. je pense comme Fedora que ton collègue a dû très mal le vivre et ça explique sa « position ». Au final, chacun va avoir un ressenti différent, selon sa propre expérience (comme tu précises bien que c’est ton avis purement subjectif 😉 ). En tout cas, je comprends tout à fait ton collègue, je comprends qu’on ait envie de donner une certaine stabilité géographique à ses enfants. Après, faire l’inverse peut être incroyablement enrichissant aussi!

  4. Oh là là, çà c’est pas un sujet simple car tout le monde n’est pas fait pareille et en plus n’est pas exposé aux mêmes situation !

    Je ne suis pas un fan des spectacles d’humour de Bocar Diouf mais par contre, j’adore la façon qu’il regarde et comprend les choses.

    Regardes cette vidéo (non accessible hors canada) où il est en entrevue à Télé-Québec et donne son point de vue sur divers sujets (les métis, le multiculturalisme, l’immigration, etc) et écoutes bien ce qu’il dit entre 10:45 et 12:20 :

    http://zonevideo.telequebec.tv/media/7460/boucar-diouf/les-francs-tireurs

    ——
    Pour ceux qui ne peuvent pas voir la vidéo, il dit en gros que:
    1- Les enfants d’immigrants (ex français ou sénégalais) qui naissent et grandissent dans un pays (dans ce cas le québec) SONT des québécois à 100% et non pas des français ou sénégalais comme leurs parents.

    2- il dit que par conséquent, ces parents immigrants doivent élever leurs enfants comme des québécois (ce qu’ils sont) et non pas comme des français ou des sénégalais (ce qu’ils ne sont pas) car sinon, ils commettent une erreur.

    Il cite Albert Mimile:
    « Pour les enfants d’immigrants, il n’y a pas de retour possible car ils ne sont jamais partis. »

    Il ajoute que si ils sont élevés selon la culture de leur parents alors en vieillissant, ils vont devenir apatrides car ils ne se sentiront pas complètement enraciné ici et en retournant dans le pays de leurs parents, il ne se sentiront pas enracinés non plus.
    ——

    Je pense qu’il a entièrement raison et je pourrais citer comme exemple d’échec (il y en a d’autres que celui-ci) ces jeunes nés de parents musulmans immigrés qui ont un problème d’identité, qui se cherchent et qui dans certains cas vont partir faire le jihad avec l’état islamique en croyant y trouver l’identité musulmane que leurs parents leur ont enseigné mais ne trouvent pas dans le pays où ils ont grandi.

    Et puis, une autre raison pourquoi c’est important de vivre là où on a grandi (ou à tout le moins de ne pas déménager souvent), c’est les amis… LES VRAIS AMIS !

    C’est pas un hasard si dans la majorité des cas, nos VRAIS AMIS sont des gens que l’on connais depuis TRÈS LONGTEMPS et même, nos amis d’enfance.

    • Je ne suis pas fan de Bocar Diouf et je ne partage pas specialement sa vision du monde, surtout sur ce point précis. je peux comprendre ce qu’il veut dire mais je ne suis pas d’accord pour 2 raisons:

      – Il est important d’inculquer ses propres valeurs et sa culture aux enfants. Tout cela fait partie d’eux au meme titre que les valeurs du pays d’accueil. L’un ne devrait pas empecher l’autre…

      – je ne vois pas comment je pourrais elever des enfants dans la culture Quebecoise; je ne suis pas Quebecoise et je ne connais pas grand chose a la culture du Quebec. Je ne peux pas pretendre inculquer correctement une culture qui n’est pas la mienne.

      Ton exemple m’interpelle beaucoup car je le trouve hors de propos. Tu compares une religion avec un pays; ce sont deux choses differentes, le plus le probleme que tu evoques ne touche pas uniquement les jeunes issus de l’immigration.

  5. C’est marrant, je pensais justement à ça hier.

    Je viens d’une famille qui vit dans la même maison depuis 30 ans. J’ai moi-même vécu dans la même maison pendant 24 ans sans aucune envie d’en partir et aujourd’hui à presque 30 ans, j’en suis à ma 3ème expatriation (d’une longue série !) sans aucune envie de rester plus de 5 ans au même endroit.

    Donc tu vois vraiment ça ne veut rien dire ! Mes parents pensaient que jamais je ne quitterais la France (hahaha quand j’y repense !) et pourtant, je ne fais rien pour y retourner.

    Je ne sais pas si j’aurais eu une vision différente en vivant à plusieurs endroits enfant. Avec mes parents on voyageait beaucoup mais à l’époque, je n’aimais pas ça du tout ! Je voulais juste rester en famille. Et puis un jour il y a eu un déclic. Je ne saurais pas te l’expliquer… Mais voilà où j’en suis 6 ans plus tard.

    • C’est vraiment des choses qui ne s’expliquent pas. Et puis on peut aussi changer avec le temps. Tu vois moi par exemple j’ai vécu à plusieurs endroits enfant et j’ai toujours eu envie de bouger. Mais parfois je me dis que ce serait super de se fixer, d’acheter une maison, de pouvoir se projeter …

  6. je pense aussi que nos racines resteront quelque soit l’endroit… spontanément, j’aurais plutôt envie de bouger, souvent. Mais il semblerait que les enfants (le 10 ans surtout) en ait marre de bouger. Nous avons quitté l’ile, vécu 1 mois et demi dans une ville en métropole… pour rebouger et rechanger d’environnement, d’école… clairement, ça a été le déménagement de trop… maintenant qu’il a ses potes, ses activités, il n’a qu’une crainte… celle qu’on déménage à nouveau… et je ne parle même pas d’expatriation… il a envie de garder ses amis, sa vie… et je peux le comprendre… même si ça ne m’arrange pas. 🙂

    • Les étapes de la vie:
      1- Avant l’adolescence, un enfant se colle sur ses parents pour apprendre d’eux alors il n’y a pas de problèmes à changer souvent d’endroit. Même que c’est stimulant pour l’enfant qui sera ainsi exposé à nombre de nouvelles choses mais faut toujours que ce soit fait en famille.

      2- Pendant l’adolescence, l’enfant a besoin de se dissocier « mentalement » de ses parents pour forger sa propre identité et il a besoin d’appartenir à un clan (un groupe d’amis) avec lequel il va fusionner et tout copier. C’est donc une très mauvaise période pour changer d’endroit.

      3- Rendu à l’âge adulte (vingtaine et trentaine), la personne ressent un besoin très fort d’explorer le monde pour élargir ses horizons et c’est important qu’elle le fasse car c’est en étant en contact avec des cultures différentes et des façons de vivre différentes que l’on prend conscience de qui on est, de ce que sont nos valeurs et aussi dans bien des cas de la chance incroyable que nous avons d’être né dans un pays riche.

      4- Dans la quarantaine, on commence à avoir fait le tour du jardin alors on commence à ne plus trop bouger pour plutôt s’établir à un endroit où l’on retrouve les choses et les valeurs qui sont importantes dans notre vie et on explore plus profondément.

      5- Dans la cinquantaine et même la soixantaine, il se produit un phénomène merveilleux qui fait qu’on comprend beaucoup mieux qu’avant les diverses choses de la vie et autres choses en général.
      Je pense que c’est dû à l’accumulation de nos expériences de vie et de nos connaissances en tous les domaines, à la très bonne connaissance que nous avons alors de nous-même et aussi à la maturité et la sagesse qui semblent alors surgir spontanément et qui nous permettent de très facilement voir clair dans les choses. C’est tellement plaisant que je ne voudrais pour rien au monde retourner dans la vingtaine !

      6- Plus vieux… bien là je verrai quand j’aurai cet âge !

    • C’est normal d’en avoir marre aussi hein. Moi quand j’avais 10 ans et que mon papa est venu me chercher pour aller au Senegal je ne voulais pas bouger hein… La puce n’aime pas du tout l’idée de devoir quitter son école un jour..
      Je dois avouer qu’en tant que parents ce n’est pas toujours evident de ne pas culpabiliser un tout petit peu pour chaque déménagement..

  7. j’aime beaucoup cette phrase ! Pour moi quand on vit quelque chose de manière positive, on a toutes les chances de le transmettre positivement à ses enfants, donc vous pouvez bien allez en Espagne, en Thaïlande ou en Alaska, ça fera partie de son identité !

  8. Salut Mme Gaou, je t’ai nominé au Liebster Award, suit ce lien https://mareflexionparmesmots.wordpress.com/2016/02/05/mon-blog-nomine-au-liebster-award/ et tu comprendras mieux 🙂

  9. Très joli article, belle réflexion. Je partage ton point de vue et te remercie pour tes différents articles notamment sur Toronto et Montréal.
    J’hésite à partir seule dans ces deux villes cet été.

    Belle soirée,

    Léa

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