Un Gaou au bureau : se faire virer

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Dans ma courte carrière, j’ai (entre autres) connu les grèves, les délocalisations, les fermetures de site, les transferts de site de production et les caricatures de syndicalistes. J’ai été face à diverses situations mais jamais au grand jamais je n’avais été confrontée au licenciement. Il a fallu que je vienne au Canada pour en faire la douloureuse expérience. Avant d’arriver j’avais lu un peu partout que lorsqu’il s’agissait de virer un employé, les Canadiens ne prenaient pas de gants et que généralement tout se faisait assez rapidement. Le lire c’est une chose, le vivre c’est une toute autre affaire. En théorie, une fois passée la période d’essai, l’entreprise doit donner 2 semaines de préavis à l’employé avant de lui montrer la porte ; j’ai appris qu’entre la théorie et la pratique, il y a tout un monde qui se résume à une vulgaire enveloppe.
Ce lundi, je suis arrivée au bureau comme d’habitude, fatiguée et un peu dégoutée de voir mes weekends passer aussi vite. J’ai eu une sensation étrange en entrant dans le bâtiment, une sorte de mauvais pressentiment que je ne saurais expliquer.
J’ai été très surprise de voir la responsable du département voisin dans les locaux. Elle arrive généralement beaucoup plus tard que moi. Elle était debout à coté du bureau mon collègue D qui était là lui aussi. Il avait encore son manteau car il venait tout juste d’arriver au bureau. D lui donnait ses différents mots de passe tandis qu’elle, hochait la tête en prenant des notes. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui se passait, il a fallu que je le voie ramasser ses affaires sous l’œil attentif de sa responsable qui ne le lâchait pas d’un pouce pour percuter. D était tout bonnement en train de se faire virer. L’échange de données et le rangement de son bureau ont duré en tout et pour tout dix minutes. J’étais effarée par la froideur qui se dégageait du visage de la responsable. Elle qui est d’habitude souriante et joviale se tenait face a lui, le visage fermé, observant et notant mécaniquement les informations sur son cahier comme un robot l’aurait fait. Une fois son bureau vidé, D a reçu une enveloppe contenant le reliquat de son salaire, les fameuses deux semaines de préavis donc.
Avant de s’en aller D s’est retourné vers moi, un sourire triste et empreint d’humiliation s’est dessiné sur son visage; il m’a lancé un au revoir teinté d’amertume. Malgré la peine que je pouvais lire dans ses yeux, il avait l’air beaucoup moins choqué que moi.
Il y a encore deux jours, sa responsable et lui riaient aux éclats! Il lui disait qu’il avait un peu de mal sur certains dossiers et elle l’avait rassuré en disant qu’il faisait un amazing job. Rien dans son attitude ne laissait prévoir un tel retournement de situation. Les gens ici n’aiment pas trop les conflits. Au quotidien, ça donne des relations hypocrites et superficielles où on ne dit pas ce que l’on pense vraiment. On a toujours l’impression que tout se passe parfaitement bien, tout le monde est positif et lorsque la sentence tombe, c’est toujours une sacrée surprise.
Il est parti dans l’indifférence la plus totale. Il a traversé l’open space sans que personne n’aille lui parler. Un peu comme si celui qui quelques heures plus tôt était encore un collègue, avait soudainement contracté un virus contagieux et mortel. Les plus expressifs, lui ont adressé un sourire éphémère et figé, suivi d’un bye. Personne (à part moi) ne semblait ému, choqué ou traumatisé par la situation. Ses collègues n’en ont pas reparlé; les discussions du jour tournaient autour du Superbowl, comme s’il n’avait jamais existé.
Une dizaine de minutes après son départ un email nous annonçait que D avait quitté la société et qu’on lui souhaitait pleine réussite dans sa future carrière. Son profil a été supprimé des fichiers internes dans la foulée et l’annonce pour son poste était déjà en ligne!

Alors que je regardais le bureau vide de mon ex collègue, situé en face du mien, une voix lugubre résonnait dans ma tête. Cet écho terrifiant empreint de douleur et de consternation, me murmurait inlassablement : Welcome to Canada!

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Catégories :Une vie de Gaou

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28 réponses

  1. Oui c’est très très particulier. Toi qui es RH tu te vois virer quelqu’un de cette manière?

  2. Ah wouai c’est chaud…mais en France dans les grandes boîtes aussi tu reçois un mail sans savoir sur le coup que un tel a quitté la société… et après tu essayes de savoir le pourquoi. Mais j’avoue que rester planter là pour que tu partes non quoi.

    • Oui mais tu le vois un peu venir quand même. Je doute que l’on puisse virer du jour au lendemain sans préavis, avertissement etc. En tout cas dans les boites ou J’ai travaillé tu as les syndicats qui veillent au grain…

      • Dans mon expérience personnel de consultant informatique nous sommes habitués à chagner continuellement d’entreprise. Et je peux te dire qu’en France dans les grosses entreprises les internes se comportent parfois pires que ce que tu viens de décrire quand il s’agit d’annoncer ç un consultant que sa mission est terminée. Ma

  3. Ouch! C’est vrai, c’est brutal. Ça un peu moins direct ici, quoique, une copine prof a reçu un email le premier jour des vacances de Noël pour lui dire qu’elle n’aura plus de job en septembre. Ça lui laisse le temps de trouver autre chose, mais quand même!

  4. J’ai découvert ce blog qui me rappelle ma propre histoire, il y a quelque temps . Je suis arrivée à Toronto il y a moins d’1 an et demi. J’ai eu exactement la meme experience: voir quelqu’un partir dans l’indifférence totale. C’était assez déconcertant.

    • Oh une Torontoise 🙂 Bienvenue! Comment as tu découvert le blog?

      • Par hasard, en faisant une recherche sur google sur un sujet (je ne sais plus lequel) je suis tombée sur ce blog. J’aime beaucoup le style! Un plaisir de vous lire

  5. Ouch !! C’est degoutant ! J’ai eu une experience similaire au Etat Unis et c’etait vraiment tromatisant mais c’etait un job que j’avais commencee a detestee donc je me suis sentie un peu mieux apres.

    • Oui il parait qu’aux US c’est la même chose. Je pense que c’est une histoire de culture au final. On doit peut-être s’y faire avec le temps

  6. Voyager réserve parfois des surprises : des bonnes comme des mauvaises… En France, on râle beaucoup, mais je pense qu’une telle situation ne pourrait pas se produire.
    J’ai carrément été choquée en lisant ton article. On dit partout que les canadiens sont un peuple sympa et accueillant. Eh bien apparemment, pas quand il s’agit de licenciement…
    Merci de nous avoir fait partager ton expérience.
    Caro

    • Business is business. Ils sont très accueillants c’est une histoire de culture au final. c’est rapide virer mais pour démissionner c’est un peu pareil il faut généralement deux semaines de préavis

  7. Christine a raison: idem aux US. La formule « At Will » signife que les deux parties (employeur et employé) peuvent casser le contrat sans préavis. Dans la réalité je suis d’accord avec vous, c’est dur. Autant pour les deux parties d’ailleurs. Car si cela semble froid de voir le boss licencier un collègue, ce n’est pas souvent de gaité de cœur. Mon mari est passé par les deux expériences et il n’en dormait plus. J’ai eu peur en lisant le début de votre post, pensant que vous aviez perdu votre job. Bon suspense même si c’est cruel pour D.
    Bonne chance!

    • J’imagine que c’est dur de licencier quelqu’un. On va dire que mes yeux d’Afropéene ne sont pas encore habitués. 🙂

  8. Tu m’as fait peur, j’ai cru que ça t’arrivait à toi !

  9. J ‘avoue que mon titre est (un tout petit peu) racoleur 🙂 LOL

  10. Sans surprise. Je trouve que c’est plus le côté froid et amoral, de foutre dehors quelqu’un sans humanité, que le processus « rapide » en lui même. Enfin c’est ainsi. Je ne sais pas si on s’y fait un jour.

    • Bah il parait qu’on fini par s’y faire. C’est juste une différence culturelle . Après on peut aussi se demander quel est l’intérêt de garder quelqu’un qu’on veut licencier pendant de long mois… Il doit y avoir un juste milieu quelque part! Merci pour votre passage 🙂

      • Oui, c’est vraiment une différence culturelle…..il faut s’y faire; cette flexibilité il faut le prendre de façon positive car cela permet à l’entreprise d’engager plus rapidement une personne, sans vouloir attendre un hypothétique mouton à 5 pattes.

        En France, pour décrocher le fameux CDI, il faut passer par des multiples barrières d’entretien, attendre des décisions pendant un long délai…. Pour quitter une entreprise, idem cela peut prendre 3 mois dans le cas d’une démission, ou 6 mois (!!) dans le cas d’un départ négocié (cela a été mon cas où je suis parti avec une Rupture conventionnelle ; dieu que c’était looong!).

  11. Ton blog est vraiment intéressant, c’est un plaisir renouvelé de te lire chaque fois. Je l’ai découvert via un lien sur le forum immiger.com
    Je suis en processus d’immigration et j’appréhende déjà cette culture du licenciement.
    Merci de partager ton expérience à Toronto.

  12. Montreal (j’ai une amie qui y vit) dans un premier temps et plus tard le milieu anglophone (Ottawa ou Toronto, qui m’attire sérieusement depuis que je lis tes aventures)

  13. Ça alors! C’est émouvant et choquant. On présente toujours le Canada comme LA land of opportunity alors qu il y a toujours un revers de la médaille

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