La French Connection…

Depuis quelques mois, il m’arrive un truc assez étrange, j’ai de plus en plus de mal à m’exprimer en français.  La toute première fois que ça m’est arrivé, j’ai mis ça sur le compte de la fatigue.  Il faut dire que j’ai un rythme effréné. Entre le travail, la maison, la vie de maman et tout le reste, je ne sais pas toujours où donner de la tête. Et puis ça s’est reproduit alors que je discutais avec ma sœur. Comment est-ce que je peux oublier une langue que j’ai toujours parlé sans problème ? Au début j’oubliais, juste quelques mots ici et là. Et puis au fil du temps, j’ai commencé, de plus en plus, à verbailler créer mes propres néologismes et à utiliser des mots qui existent mais dans le mauvais contexte, de manière inopportune.

– J’ai demandé à un commerce si leur service de livraison proposaient aussi des produits prêts à « délivrer » sous une heure c’est peut-être du au traumatisme post Frozen ça ; je ne suis toujours pas libérée et encore moins délivrée.

– J’ai utilisé le mot « consistance » pour parler de cohérence alors que je traduisais un live pour ma cousine. J’aurais du parler de constance ou même d’assiduité mais ces mots ne me sont pas venus à l’esprit.

Je me suis retrouvée souvent à avoir du mal communiquer en français avec mes proches ils comprennent de moins en moins ce que je raconte ou à privilégier tout naturellement l’anglais comme langue de communication. Une des amies de Mam’zelle G lui a carrément demandé lors d’une de nos sorties si j’étais anglophone c’était en l’an 1 avant le confinement. Petit à petit j’ai commencé à douter de mon orthographe et de ma grammaire française. Je passe beaucoup de temps à vérifier les règles de grammaires lorsque je dois envoyer un document officiel ou un email professionnel en français. Je reste toutefois en mesure d’utiliser le subjonctif.   J’ai commencé à m’inquiéter sérieusement. J’ai eu l’impression de perdre la boule. J’ai donc fait appel à mon ami google afin de comprendre ce qui m’arrivait.

Entendons-nous bien, je n’en suis pas à ma première immigration et je parle plusieurs langues depuis ma tendre enfance. Je suis consciente qu’en l’absence de pratique, le vocabulaire fini par s’appauvrir. Il y a des mots et des expressions Ewe dont je ne me souviens plus du tout. Quand je parle avec ma grand-mère et qu’elle les emploie, ça me revient tout naturellement. Je suis incapable d’aligner une phrase en italien, langue que j’ai étudiée pendant 7 ans et que je parlais presque couramment. Je comprends des bribes ici et là mais je ne pourrais plus avoir une conversation si l’occasion devait se présenter. Je l’ai rayée de mon CV OKLM. Cependant, je n’ai jamais eu de mal avec le français et l’anglais. Il faut dire que j’ai toujours été exposée à ces deux langues et je les ai toujours pratiquées au quotidien. Ce que j’essaie de dire avec ce verbiage, c’est que je suis bien consciente qu’on finit par perdre une langue si on ne l’utilise pas. Même si je travaille et j’évolue dans un milieu anglophone, le français n’est pas complètement absent de mon environnement.  Et puis, on s’entend que je vis au Québec ; je parle le français A tous les jours. Fait que, quand il m’arrive de quoi de même je ne comprends pas pantoute pis je capote ben raide. C’est hyper frustrant à mon grand âge de ne pas réussir à s’exprimer et de se retrouver face à des gens qui font des grimaces qui ont un mal fou à masquer leur incompréhension. J’ai donc essayé de comprendre ce qui m’arrive. Le mal qui me ronge porte le doux nom d’attrition des langues.

« L’attrition est définie comme la perte non pathologique d’une partie ou la totalité d’une langue chez un bilingue. » Source

« En pratique, cette évolution est la manifestation de la réorganisation cérébrale qui s’opère. Le cerveau remplace petit à petit la structure de la langue maternelle par une autre, qui devient la langue de référence. »  Source

Il semblerait que ce phénomène soit fréquent chez les immigrants / expatriés. Dans la mesure où je suis beaucoup plus exposée à l’anglais qu’au français, il est tout à fait normal que je me retrouve à chercher mes mots. Une de mes collègues que je croyais anglophone m’a expliqué que sa langue maternelle était le français ; mais elle l’a « perdu » et se sent à présent plus à l’aise en anglais parce qu’elle évolue dans un milieu totalement anglophone depuis plus de 20 ans. AMAZING !  Je comprends mieux mes amis qui après quelques années aux Etats-Unis n’arrivent plus à aligner une phrase en français sans lâcher des mots anglais à tout va. Quand je pense que je me moquais allègrement d’eux…  Karma is b*tch.

Je ne pensais pas qu’il serait si facile de désapprendre une langue dans laquelle on s’est exprimée toute sa vie. Je comprends un peu mieux pourquoi la protection de la langue française est un sujet qui tient à cœur a une frange de la population et fait débat ici.  J’ai décidé de ne pas me laisser faire. Je me suis remise à la lecture d’ouvrages francophones en tout genre ; livre de contes, classiques de la littérature française you name it pour booster un peu mon cerveau.  En peu de jours j’ai retrouvé des mots super utiles comme borborygme, résipiscence et tonitruance pour ne nommer que ceux-là. L’attrition n’est pas une fatalité et je compte bien la combattre. Après tout, comme le dit Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing, « Tout le monde doit être bilingue dans une langue et en parler une autre».

 



Catégories :Les Gaous au Canada

Tags:, , , , , , ,

%d blogueurs aiment cette page :