Tu m’as demandé de t’expliquer ce qu’est l’histoire des noirs parce que vous avez parlé du mois de l’histoire des noirs à l’école.
Je t’ai regardé, toi mon petit bout de femme et j’ai souri. Tu grandis si vite et tes questions me dépassent de plus en plus. Alors quand je n’ai pas de réponse digne de toi je souris. Je souris en espérant masquer mon ignorance dans un torrent de bienveillance. Je souris pour que jamais tu n’associes curiosité et hostilité.
Tu m’as demandé avec ta candeur et ton innocence habituels ce qu’est le mois de l’histoire des noirs. Tu as posé la question naïvement sans te douter que pour ta mère elle serait lourde de sens et soulèverait des questionnements bien plus profonds et complexes.
Vois-tu, il m’est difficile de répondre à cette question. En effet, comment t’expliquer un concept que je ne comprends pas moi-même ?
Je sais que c’est un mois de commémorations qui existe en Amérique du Nord. Du peu que j’ai compris, c’est un mois où l’on met les noirs à l’honneur. On parle de l’esclavage, du combat pour les droits civiques, on rappelle les nombreuses contributions positives que les noirs ont eu sur l’histoire Nord-Américaine. D’ailleurs l’année dernière ton école à Toronto avait organisé des manifestations en tous genres. La direction m’avait d’ailleurs invitée à venir m’exhiber pardon danser en tenue traditionnelle pour célébrer l’histoire de mes ancêtres.
Tu vois mon enfant, le mois de l’histoire des noirs existe pour que les gens se rappellent que les noirs ne sont pas arrivés ici par hasard, qu’ils ont mérité leur place. Mais moi, ta mère, je trouve un peu farfelu que l’on soit obligé d’instaurer un mois pour célébrer l’histoire des noirs. Je suis affligée qu’à l’époque où nous vivons, on soit encore obligé de rappeler que les noirs ont mérité leur place dans ce monde. Je dois surement être vieux-jeu. En ce qui me concerne, l’histoire des noirs ne devrait pas être séparée de celle des autres; l’histoire des noirs, c’est toute l’année. Mais même si je ne la comprends pas, je reconnais que le mois de l’histoire des noirs est une initiative positive. Je suis même tentée de t’avouer que je préfère cette option au vide intersidéral qui illustre bien trop souvent à mon goût l’histoire de noirs de France. J’ai été abasourdie de ne trouver que très peu de références aux noirs dans les livres d’histoire de l’hexagone.
Tu sais ma fille, j’ai grandi loin, là-bas en Afrique. J’ai appris l’histoire de Soundjata Keita, de Dzitri le chasseur qui fonda jadis la ville de Lomé, de l’empire du Mali, de l’empire du Ghana. J’ai été bercée au son des poèmes de Léopold Sedar Senghor. Je me suis imprégnée de l’histoire de l’esclavage à Gorée. J’ai été révoltée par la violence des expositions coloniales. J’ai lu chaque mot du fameux discours de Martin Luther King avec passion. J’ai écouté les tirailleurs me raconter la guerre, leur guerre et le combat pour la reconnaissance qui s’en est suivi. De la colonisation à l’indépendance, tout m’a passionnée. J’ai dévoré chaque mot, chaque syllabe comme si ma vie en dépendait. Je suis consciente des luttes et des batailles que les générations précédentes ont menées pour que je puisse vivre librement. Le mot «négritude» que tu ne comprends sans doute pas encore est ancré dans ma chair. Il est à mes yeux le symbole de la toute-puissance de la pensée. Il nous faudrait des heures et des heures pour parler en détails de l’histoire. J’aimerais pouvoir t’assurer que l’histoire ne se répète jamais et que tu peux dormir sur tes deux oreilles, mais l’être humain est décevant, il a prouvé à plusieurs reprises que c’est sa nature profonde. Je sais que le chemin vers l’égalité (la vraie) est encore long et qu’il est semé d’embûches.
Mais malgré tout ça, je ne peux pas te dire avec exactitude ce qu’est l’histoire des noirs mon enfant. Tu vois ta mère a toujours cru que l’histoire n’avait pas de couleur. Pour moi l’histoire des noirs, c’est mon histoire, la tienne mais aussi celle de ton père.
Je vois à ton regard interrogateur que tu ne comprends pas vraiment ce que je raconte et c’est normal.
Ne t’en fais, ce n’est pas grave si tu as du mal avec mes mots ; retiens juste que l’histoire n’est ni noire, ni blanche. Même si elle se colore bien trop souvent de rouge, l’histoire n’a pas de couleur. Elle prend parfois la teinte de celui qui la raconte mais ce n’est pas le plus important. L’histoire est là pour que nous nous rappelions que les temps changent, que le monde évolue (lentement) et que si nous voulons aller de l’avant, nous devons nous souvenir. L’histoire est là pour que tu n’oublies jamais.
Tu m’as demandé ce qu’est l’histoire des noirs, je vais te répondre en t’avouant que pour ta mère, l’histoire des noirs, c’est l’histoire tout simplement et je m’assurerai que tu en saisisses toutes les nuances…
Catégories :Une vie de Gaou
J’aime beaucoup ton approche, il y a l’histoire, et c’est l’histoire de tous.
Merci M’dame 😊
Ce week-end au centre hippique Grand Choco s’est émerveillé devant un cheval qui s’appelait Lat Dior.
« Quoi, mais tu ne connais pas Lat Dior ???! »
Il nous a raconté alors l’histoire de ce Roi de Cayor, c’était captivant et il avait les yeux qui brillaient de souvenirs sur les bancs de l’école. « Tu vois, maintenant je connais Lat Dior, heureusement que tu es là pour m’en parler et demain je te raconterai qui est Jean Jaurès. Jean qui ?! »
Merci M’dame Gaou, ton article est très chouette. Moi aussi je vais m’atteler à ce que Michoco comprenne bien toutes les nuances de l’Histoire 😉
Ah Lat Dior. Bon si ça peut te rassurer je sais aussi qui est Jean Jaures 😉
Je n’en doutais pas une seconde 😉
A reblogué ceci sur Ti'punch contre Ti'bout !.
Kiffant !
Merci beaucoup 😊