Mon père m’a dit un jour que seules les montagnes ne peuvent pas se rencontrer. Ce proverbe, il me l’a dit le jour où j’ai quitté Lomé pour Dakar. Je venais d’avoir 11 ans; comme presque toutes les filles de mon âge j’avais une meilleure amie avec qui j’avais tout vécu. Nous ne nous trouvions que des points communs elle et moi. Ses parents comme les miens étaient séparés. Comme moi, elle vivait à Lomé avec sa mère et son petit frère. Pour finir son père vivait au Sénégal comme le mien. Nous avions fait toute notre école primaire ensemble. Nous nous sommes soutenues mutuellement lors des résultat du CEPD, l’examen de fin d’études primaires. Nous traversions Lomé pour aller du quartier de kodjoviakopé où nous habitions toutes les deux jusqu’au Collège Protestant où nous étions scolarisées. Nous avons gloussé comme deux dindes quand ce jeune garçon que nous trouvions mignon comme tout nous avait souri. Nous avons traîné nos savates jusqu’à Aflao (la frontière ghanéene) pour acheter des saloperies qui n’avaient de valeurs qu’à nos yeux.
Nous nous sommes juré de ne jamais nous quitter; donc forcément, quand mon père ce trouble fête est venu me chercher pour m’emmener à Dakar, je n’étais pas très coopérative. D’autant plus que les arguments qu’il m’avait exposé pour justifier ce départ précipité n’avaient aucune valeur à mes yeux d’enfant. Il craignait qu’une guerre civile n’éclate au Togo. Pour moi ça n’avait aucun sens parce que même si la guerre avait éclaté à l’époque, j’étais bien trop jeune pour y participer. Je ne voyais pas pourquoi il fallait que je quitte le pays.
J’ai fini par expliquer à mon père les vraies raisons qui se trouvaient derrière mon refus de quitter l’amère patrie.
Quand il a su que je ne voulais pas abandonner ma meilleure amie et encore moins partir précipitamment sans lui dire au revoir. Nous n’avions ni téléphone, ni internet à l’époque. Il m’a dit que seules les montagnes ne se rencontraient jamais, que le monde était petit et que je finirais sûrement par la (re)croiser si tel était notre destin.
Je lui ai rétorqué avec cette spontanéité insolente qui a toujours été une partie intégrante de ma personne et qui m’a valu quelques belles baffes, que son histoire de montagnes était vraiment stupide.
Comme je n’étais toujours pas convaincue par son discours, il a sorti l’arme secrète, celle que tout parent garde pour les enfants récalcitrants qui ont le culot de discuter les ordres de leurs tous puissants parents : la menace.
J’ai cédé face à cet argument persuasif et je me suis exécutée. Sur le trajet qui nous menait à l’aéroport, je n’ai pas pipé mot (c’est un exploit en ce qui me concerne) et j’ai fait la gueule. Faire la gueule est un réflexe (voire même une qualité) que je développe depuis ma tendre enfance car ça muscle le visage…
J’en voulais à mon père de m’avoir arrachée à ma vie, à mon pays et mon amie pour une raison aussi futile que l’espoir d’une vie meilleure.
En montant à bord de cet avion d’Air Afrique qui m’arrachait à mes racines, je me suis promis de ne faire aucun effort pour m’intégrer au Sénégal et à ma nouvelle vie.
Alors que je m’apprêtais à m’installer dans mon siège, j’ai entendu une voix familière m’appeler. En me retournant, je l’ai aperçue, ma meilleure amie était là à quelques mètres de moi.
Son père était venu la chercher motivé par les mêmes raisons que le mien. Elle avait encore les yeux rougis par les larmes. Elle avait pleuré parce qu’elle n’avait pas pu me dire au revoir. Nous nous sommes promis de ne plus nous quitter. Nous étions convaincues que nos destins étaient liés et que notre amitié résisterait aux vicissitudes de la vie car elle etait indestructible.
Nous sommes restées amies plusieurs années après cet épisode avant de nous embrouiller quelques années plus tard parce qu’à 15 ans on est vraiment con pour une sombre histoire de joli garçon.
Je ne lui ai pas parlé , ni ne l’ai revue depuis…
Aujourd’hui je me suis souvenue grâce à ma fille que je n’ai jamais demandé pardon à mon père pour l’attitude scandaleuse que j’avais eu le jour où il est venu me chercher à Lomé.
Ce matin quand j’ai déposé Mam’zelle Gaou à l’école elle m’a demandé de quel droit je lui avais fait quitter Paris et son amoureux pour le Canada et ses hivers rudes. Elle m’a dit qu’elle aurait voulu que je lui demande son avis avant de l’emmener. Elle a fini par me dire qu’avant de quitter Paris elle n’a pas eu le temps de dire au revoir à son amoureux Valentin comme il aurait fallu et qu’elle ne le reverrait sans doute jamais.
J’ai masqué la culpabilité qui me rongeait à cet instant précis derrière un immense sourire. Je lui ai dit qu’elle (re)croiserait Valentin un jour si leurs destins etaient vraiment liés et j’ai conclu en lui faisant part de cet adage familial porteur d’espoir qui m’a été transmis il y a très longtemps par un homme très sage et qui dit que seules les montagnes ne se rencontrent jamais…
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Catégories :Une vie de Gaou
Très beau proverbe! La vie de parents, entre culpabilité et autorité…
C’est ça! On essaie dire que c’est pour leur bien mais ce n’est pas facile pour autant…
J’aime beaucoup le proverbe de ton papa et ton billet est super touchant.
Merci Evelyne 😊
Ton texte me touche d’autant plus que je suis en plein dedans avec mes filles. Aucun argument ne parvient à les convaincre par contre moi les leurs parviennent très bien à me culpabiliser !! Dure vie de parents !
Oh que je te comprends. Elles ont quel âge?
Ados, alors déménager oui mais avec toutes les copines… ça fait du monde !
et voilà, je pleurniche devant ton texte… c’est triste, émouvant, vrai !
Merci Petite Yaye! Mais faut pas pleurnicher 😊
C’est un beau proverbe. C’est pas pour faire cliché, mais y’a pas mal de proverbes africains remplis de sagesse. J’adore. Une autre façon de voir les choses!
Merci Juliette. C’est vrai qu’il y en a de très beaux et sages. Puis t’as les proverbes WTF du style » Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus… » 😂
C’est l’un de mes proverbes préférés.
Très espiègle ta fille 😊.
Aimerais tu savoir ce qu’elle est devenue?
Elle vit aux US. Je l’ai trouvée sur un réseau social mais je n’ai pas osé lui écrire ou la contacter 😊
Ha la magie de la toile hein!
Vos ressentis sont probablement similaires😊.
Un jour peut-être. Seules les montagnes ne se rencontrent jamais😉.
😮 T’as vécu à Kodjoviakopé ? Moi j’y vis actuellement. Bon baisers depuis Kodjoviakopé. 🙂
Oui je suis de Kodjoviakopé. J’habitais pas loin de l’école Akueté Akué vers la primature. Il y a un Texaco dans la zone. J’ai aussi de la famille a Nyekonakpoè et Tokoin. Je suis partie vers 12 ans au Sénégal mais je reste une Togovi. Merci d’être passé! Apké kaka lo 🙂
Ton article est magnifique !
J’espère qu’un jour tu écriras un livre, tu es vraiment talentueuse!
Oh merci Saly. Il y a un monde entre mes gribouillages et un vrai travail d’auteur mais je suis vraiment touchée par ton commentaire. Merci du fond du coeur!
« Seules les montagnes ne se rencontrent jamais… »
Quand tu as dit que c’est ton père qui t’avait dit ce proverbe, j’ai tout de suite pensé à Boucar Diouf (humoriste québécois originaire du Sénégal) car il cite très souvent son père avec ce même genre de proverbes.
Tu es au québec depuis seulement 9 mois alors je ne sais pas si tu as entendu parler de lui ou es allé le voir en spectacle mais au cas où tu ne le connaîtrais pas encore, voici 4 vidéos pour te le faire connaître:
1- Celle-ci va plaire à ta fillette et à toi aussi car il raconte un peu sa vie:
http://zonevideo.telequebec.tv/media/421/boucar-diouf/dis-moi-tout
2- Celle-ci est pour les adultes car c’est pendant une entrevue à l’émission Les franc-tireurs (tu vas voir à quel point il est brillant et a des valeurs solides):
http://zonevideo.telequebec.tv/media/7460/boucar-diouf/les-francs-tireurs
3- Dans celle-ci, il explique à sa façon, d’où vient cette peur que les hommes ont de la femme:
4- Et pour terminer, un petit gag très mignon qu’il a monté avec son fils: