Hier, j’ai rencontré au supermarché un Monsieur plutôt jeune (la trentaine) avec des scarifications sur le visage. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu une personne avec des balafres. À chaque fois que je croise une personne avec des scarifications, je pense à feu mon grand-père paternel, Mensah ça se prononce Meinssan. Dans mon ethnie on fait des scarifications sur le visage pour signifier son appartenance ethnique. On en fait 10 : 2 sur le front, 2 sur chaque tempe et 2 sur chaque joue. On les appelle communément 2×5 au Togo. Ces scarifications sont spécifiques à mon ethnie (les Pédas) mais il y en a bien d’autres. Mon grand-père en avait mais mon père n’en a pas pour la simple et bonne raison que mon papy vomissait cette pratique. Il disait toujours que des barbares arriérés et stupides (on adorait tous son tact ) l’avaient défiguré à jamais. Il disait aussi que c’était dommage d’en être encore là à l’heure où on peut savoir qui on est et d’où l’on vient grâce un principe simple et indolore… la carte d’identité. Alors oui la carte d’identité ne précise pas l’ethnie dont on est issu, mais est-ce vraiment une mauvaise chose de se fondre dans la masse nationale? À l`heure où l’appartenance ethnique peut encore être source de conflits dans de nombreux pays d’Afrique Subsaharienne, je ne pense pas que ce soit ridicule de se poser la question, mais ce n’est pas le sujet du jour, passons.
Mon aïeul s’est toujours violement opposé (entre autres) à cette pratique et n’a jamais voulu que l’on en fasse à ses enfants et ces derniers (dont fait partie mon papa) n’en n’ont pas fait à leurs enfants. Quand j’étais plus jeune, je ne réalisais pas vraiment l’importance de cette prise de position et ses conséquences. Je voyais souvent parfois des gens (des femmes la plupart du temps) venir du village discuter avec mon grand-père qui s’énervait et les mettait à la porte sans ménagement. Il avait un sacré caractère Grand papa Mensah. J’ai compris bien plus tard que périodiquement, la famille éloignée qui vivait au village, venait exiger demander que les traditions soient respectées et que nous soyions scarifiés. Ils avaient toujours des arguments implacables pour justifier cette pratique : préservation de la tradition, risque de folie ou de possession ou encore débauche et dépravation (pour les filles uniquement) en cas de non-respect des coutumes ancestrales dont font partie les balafres. Malgré la pression sociale et familiale, mon grand-père n’a jamais cédé. C’était quelqu’un de très ouvert sur le monde. Il a eu la chance de voyager il a fait une partie de ses études en Angleterre avant de revenir travailler au Togo puis au Ghana. Il était vraiment en avance sur son temps. Une des sœurs de mon père est une enfant adoptée. Mes grands – parents l’ont adoptée légalement et l’on traitée de la même façon que leurs enfants biologiques malgré la pression des autres membres matérialistes de la famille qui s’inquiétaient de l’impact qu’une adoption pourrait avoir sur les droits de succession. Faire des projets sur les biens d’une personne qui est toujours en vie est une compétence que de nombreux membres de ma famille ont développée et nourrissent…Shame !
Souvent je repense à mon papy et je me dis que ça n’a pas dû être facile tous les jours d’être différent, d’aller à contre-courant dans un pays où le poids des traditions est parfois un frein à la liberté. Malgré la pression, il n’a jamais lâché, il est resté accroché à ses principes. Mes vraies tantes ont fait des études supérieures et étaient traitées de la même façon que leurs frères. Alors qu’à l’époque on disait (on le dit encore de nos jours) que mettre une fille à l’école c’est du gâchis d’argent et d’énergie. Il aurait pu choisir la solution de facilité, céder ou encore partir loin mais il n’a jamais voulu car il était profondément attaché à son pays. Lorsque j’étais enfant, je ne réalisais pas vraiment l’importance et la valeur de ses prises de positions. Il n’était pas parfait (qui peut prétendre l’être!?) mais aujourd’hui, étant à mon tour mère, je comprends l’importance de son action, je vois la valeur de ce qu’il a transmis à ses enfants et à ses petits-enfants. Cette ouverture d’esprit qu’il a su nous faire passer est une richesse inestimable. Nous ne rejetons pas nos coutumes et nos traditions, nous avons au contraire gardé ce qu’elles ont de meilleur.
Je sais d’où je viens, je connais mon histoire, celle de mon village, mon pays, ses points positifs et ses aspects un peu moins glorieux. On ne m’a pas torturée, balafrée, scarifiée ou entaillé la chair il n’y aucune trace de mutilations sur mon corps et pourtant je porte en moi une marque encore plus profonde bien qu’invisible : l’empreinte de Mensah. Grâce à lui je sais que je suis une femme Péda, Togolaise et que ce n’est absolument pas incompatible avec un visage qui ne porte pas les stigmates de certaines traditions.
Catégories :Une vie de Gaou
Ton grand père était remarquable. Tu as raison, les marques du cœur sont bien plus fortes que celles éventuelles sur le corps.
Tout à fait 🙂
Merci de mettre la lumière sur ces scarifications que l’on aperçoit beaucoup dans certains quartiers d’IDF. C’est donc un signe d’appartenance, je m’étais toujours posée la question.
Pas seulement, il y a différent type de balafres. Elles peuvent avoir un but esthétique, elle peuvent être signe d’appartenance ethnique, utilisée à des fins thérapeutiques, ou encore faites pendant un rite de passage, leur signification varie d’une ethnie à une autre.
Très bel hommage à votre grand-père. Merci de nous faire découvrir un aspect moins connu de vos origines.
Merci Evelyne 🙂
Salut Gaou. Je constate qu’il y a beaucoup de similitudes culturelles, je viens d’Afrique de l’Ouest également et on y trouve encore des pratiques qui n’ont vraiment plus leurs raisons d’être (scarification et mutilations génitales, obligation de se marier avec quelqu’un de la même ethnie dans certaines familles, etc.) mais qui perdurent en raison la pression familiale dont tu parles qui est très forte ici et l’étroitesse d’esprit de certains « individus ». Par conséquent tu ne vis pas en prison, mais tu n’es pas libre non plus parce qu’on réfléchit et décide à ta place, pensant te rendre service.
Je n’ai pas connu votre grand-père, mais rien qu’à la lecture du post, je l’admire et voudrais lui ressembler parce que les CHOSES DOIVENT CHANGER et il faut bien quelqu’un pour commencer.
Merci Mimichou. Eh oui même si c’est important de préserver nos traditions, elles ne doivent pas être un frein a notre liberté individuelle. On a souvent peur d’aller a contre courant, mais l’histoire nous a prouvé a plusieurs reprises qu’il faut parfois une seule personne pour tout changer…
bbbrrrr… ça frissonne !
Plus je rencontre de monde, plus je me rends compte que ceux qui sont bien dans leurs traditions (et du coup dans leur vie) sont ceux qui vivent avec leur temps et s’ouvrent sur le reste du monde au lieu de se replier et revendiquer le respect pur et dur (pour ne pas dire bête et méchant) des traditions.
Alors oui, ton grand-père t’a sacrément bien scarifié en effet ! Mais ça demande beaucoup de courage, une grande énergie et une force intérieure hors du commun…
Effectivement, il faut un sacré courage et une force de caractère a toute épreuve pour faire front à toutes ces choses 🙂
Je voulais juste donner un autre point de vue… Car peut être que ton grand-père n’aimait pas ses scarifications, et je ne suis pas du tout pour le respect de la tradition à tout prix, mais pourtant une fois j’ai été séduite par les petites scarifications qu’un ami avait sur les joues!! Je ne le trouvais pas du tout défiguré par ça, au contraire! 😉 Mais il faut dire qu’elles étaient discrètes (et sexy ahah)
Oh je suis d’accord, chacun a sa vision personnelle de la chose. 🙂