Un Gaou à Moscou…

hopeJe ne suis pas née noire, je le suis devenue. Je suis née et j’ai grandi dans un milieu multiculturel. Autour de moi, il y avait des gens de toutes les origines, des grands, des petits, des noirs, des blancs, des asiatiques, des gens incolores (merci les produits éclaircissants), la différence, je ne l’ai jamais vue comme une barrière. Elle a toujours été pour moi un atout. J’ai la chance de venir d’un milieu où la majorité des gens sont ouverts et tolérants.
Je suis née fille, j’en ai toujours eu conscience, c’était clair. En revanche, je ne suis pas née noire. Ma couleur de peau était un détail insignifiant. Petite, j’avais une peau sensible, sèche, très foncée, jolie mais elle n’était pas noire, pas encore. Je me souviens du jour où je suis devenue noire comme si c’était hier. C’était en 1989 à Moscou, j’avais 8 ans. Ma mutation s’est faite dans la crainte et dans la douleur. Ma mère nous emmenait à Paris et avait décidé (idée saugrenue et dangereuse) de faire une escale de 5 jours à Moscou pour visiter. L’ex URSS à l’époque, c’était à mes yeux un endroit parmi tant d’autres. J’ai beaucoup voyagé jeune et je ne faisais vraiment pas la différence entre les pays d’Afrique et le reste du monde. Nous sommes donc partis de Lomé, ce n’était pas la première fois que je prenais l’avion mais c’était la première fois que j’étais assez grande pour réaliser que j’étais dans les airs. Ça m’a rendue malade. Je me rappelle qu’une hôtesse m’avait offert un Pepsi pour arrêter les nausées et m’avait félicitée pour mon niveau d’anglais. Eh oui le Gaou est bilingue depuis longtemps. En même temps avec une mère d’origine Ghanéenne et ayant vécu la majeure partie de mon enfance à quelques kilomètres la frontière entre le Ghana et le Togo, je n’ai pas grand mérite. Revenons à notre voyage. Pour beaucoup, Moscou, c’est le Kremlin avec ses palais et églises, la cathédrale Saint-Basile, la place Rouge, la cathédrale du Christ Sauveur le monastère Danilov. Pour moi Moscou est et restera à jamais la ville où je suis devenue noire. Je m’en souviens comme si c’était hier, nous sommes sortis de l’avion, ma mère s’est approchée d’un connard monsieur pour lui poser une question. Il s’est retourné et lorsqu’il l’a vue une expression de haine et de dégout s’est dessinée sur son visage, j’ai cru qu’il allait la frapper avant de vomir. Il nous a traités de sales negres et de macaques avant de nous lancer un crachat qui a atterri à mes pieds et qui m’a transformée pour toujours. Ce jour-là je suis devenue noire. Deux jours après cet évènement, nous avons quitté Moscou dans la précipitation. Ma mère a écourté notre séjour parce que les agressions racistes étaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes. J’ai quitté ce pays hostile que l’on appelle aujourd’hui Russie mais je suis restée noire. Ma mère m’a expliqué quelques temps après ces évènements malheureux que dans le monde il y avait des gens bêtes qui n’étaient pas ouverts d’esprit et que malheureusement le racisme ferait partie de ma vie. Elle m’a parlé entre autres de l’esclavage, de Saartjie Baartman (la Vénus hottentote) et de la ségrégation. Elle m’a confié que j’allais souvent parfois être rejetée à cause de la couleur de ma peau. Elle a rajouté que le raciste était juste un ignorant, qu’il ne fallait pas répondre à la haine par la haine et qu’il fallait que je me batte pour montrer que je n’étais pas une victime mais une femme comme les autres. Elle ne voulait pas que je me définisse par la couleur de ma peau mais par mes succès. Elle a conclu son discours en disant que le monde évoluait et qu’elle gardait espoir. Elle m’a dit qu’un jour j’aurais des enfants et qu’elle était persuadée qu’ils n’auraient pas à vivre le cauchemar que j’ai vécu si jeune. Ce voyage m’a marquée pour toujours. J’aimerais vous dire que les choses ont complètement changé depuis Moscou, que le racisme n’existe plus. Mais ce serait un mensonge. Je ne compte pas le nombre de sale négresse, macaque, guenon, pute à blanc, bamboula et autres compliments (la liste est non exhaustive) que des esprits étriqués (une minorité) ont pu me faire à Kuusamo, Paris, Reykjavik ou…  Dakar. Le racisme, fait partie de ma vie mais il ne me définit pas. J’ai enterré la petite fille dévastée qui découvrait l’ignorance et la haine à Moscou au plus profond de mon être. Je ne voulais pas être esclave de ses craintes et de ses angoisses. J’avais peur qu’elle m’empêche d’aller vers les autres. Je ne voulais pas qu’elle entrave ma vision du monde et qu’elle détruise le message d’espoir de ma mère.
J’ai réussi tant bien que mal à la tenir éloignée de la femme que je suis devenue. Mais voilà, la petite fille apeurée a refait surface récemment ; elle est venue frapper aux portes de mon esprit. Elle qui était enfouie depuis des années est réapparue. Elle est révoltée et a apporté dans son sillage, la douleur, la peine mais surtout la colère. Elle est arrivée au bras de ce garçon qui a dit à ma fille qu’elle était une sale négresse. Ma fille est épanouie et évolue dans un milieu multiculturel. Comme la majorité des enfants, elle a toujours eu un papa et une maman. Elle a appris il y a quelques jours, trop vite, trop jeune et de la pire des manières qu’elle est l’enfant d’un blanc et d’une noire et que certains idiots pensent que c’est une tare. Ma fille n’est pas née noire, elle l’est devenue un 1er Avril 2014 à Toronto.

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Photo: There is always hope-Banksy



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32 réponses

  1. C’est très touchant. Mais ta fille est entre de bonnes mains…

  2. Oh…c’est tellement désolant, je ne sais pas quoi te dire. Sauf que Proserpine à mille fois raison.

    • C’est gentil pomdepin. Le plus important c’est de garder à l’esprit que ces réactions choquantes viennent d’une infime minorité de gens

  3. J’ai vu deux enfants que j’avais invité en vacances se décomposer littéralement quand dans un supermarché de rase campagne un couple de vieux s’ est exclamé : « oh regarde, ils sont noirs ! ». Je renpense souvent à cette scène mais jusqu’à ton article d’aujourd’hui je n’avais pas compris que c’est sans doute le jour où ils sont devenus noirs. Merci pour ton témoignage, et petite gaou a la chance d’avoir une maman battante qui se définit par autre chose que sa couleur de peau donc c’est bien triste mais elle va s’ en sortir très bien. L’intelligence de coeur et d’esprit est la meilleure arme contre la bêtise.

    • Ça a du être choquant pour eux. Après il faut savoir faire la différence entre l’ignorant qui a juste des idées reçues, qui peut changer d’avis et le raciste primaire 🙂
      J’ai eu des expériences drôles ou des enfants qui voyaient un noir pour la première fois m’ont touchée avec toute leur innocence pour voir si leur main restait noire. Les parents se sont confondus en excuse mais moi je les ai trouvés adorables 😀

      • oui, moi les enfants noirs font très souvent ça avec ma peau blanche ici !!

      • En plus on doit t’appeler toubab tout le temps non ?

      • oui… quand ça m’énerve trop j’appelle les gens « gnoul » (=noir) et ils sont tout étonnés ! Mais au village tout le monde me connait et m’appelle par mon prénom et quand je suis avec grand choco les gens m’appelle « maaaaadame » !

  4. Ton texte est très touchant et je sais que tu sauras, comme ta mère l’a fait pour toi, expliquer à Mini Gaou que sa couleur n’est qu’une couleur et qu’elle doit s’appuyer sur sa différence pour faire de son passage dans ce monde une très belle réussite. Ce dont je ne doute absolument pas.

  5. Difficile de commenter sur votre post parce que je suis blanche. Si en tant que fille et femme je sais ce qu’est l’insulte et l’humiliation je ne la connais pas sur la couleur de ma peau. Je suis triste pour votre petite fille et pour ce que cet événement ravive comme expériences douloureuses. On aimerait pour nos enfants que tout avance plus vite dans le sens du respect et de l’égalité réelle pour tous. Les progrès arrivent mais qu’ils sont lents et douloureux. J’aime ce que vous faites avec votre blog. C’est ainsi que les choses changent, quand on lit les mots de quelqu’un qui vit le racisme de plein fouet.
    Quant à l’ex URSS j’ai suis aussi allée et j’imagine aisèment…

    • Oh vous savez la couleur de la peau c’est juste un détail! Mon mari a eu récemment affaire a un individu raciste qui l’a insulté. Ce personnage ridicule le rendait personnellement responsable de l’esclavage, de la colonisation pour ne citer que ceux là . Il a fini son discours puant en rajoutant que mon époux a rajouté l’injure à la blessure en épousant une noire pour se dédouaner. Un vrai ramassis de conneries qui ont fini de me convaincre que la connerie est malheureusement universelle. Comme je le disais plus haut tant qu’on ne répond pas aux haineux par la haine et qu’on garde à l’esprit qu’il s’agit d’une minorité d’abrutis, (presque) tout va bien.
      Ah l’ex URSS ! Malgré la mésaventure, j’ai trouvé Moscou très jolie même si entre nous je vous avoue que je n’y retournerais pas 🙂
      Merci pour vos compliments Evelyne! 🙂

  6. C’est violant.

    J’ai eu la chance de vivre l’expérience d’être une minorité en Chine, à la fin des années 1990 les occidentaux étaient encore rares (si si!) et du coup, tout le monde me dévisageait avec curiosité. Ça allait e bon train, « regarde, quel grand nez! » (oui, je parle chinois, je comprends ce que les gens disent…). C’était bon enfant, mais ça m’a fait un peu comprendre ce que pouvaient ressentir les minorités visibles, comme on dit ici.

    J’ai entendu des commentaires très bêtes sur notre fils, métisse donc chinois-canadien-français. Je préfère en rire.

    (Rien à voir, mais j’aimerais t’interviewer… pourrais-tu me contacter sur mon blog si ça te tente? Je ne trouve pas de « contact » sur le tien!)

    • J’ai une copine Sénégalaise qui est allée en Chine et qui m’a raconté que les gens se prenaient en photo avec elle! Vaut mieux en rire comme tu dis.Pas de souci pour l’interview , je te contacte via ton blog 🙂 Sinon pour me contact il faut aller (cliquer) sous l’arbre à palabres 🙂

  7. Je crois que j’ai fait une belle faute… violent, bien sûr. Quoique, ce genre de remarque est aussi un viol finalement… de l’innocence.

  8. Je suis vraiment desolee !! C’est tellement ecoeurant !!

  9. Salut, ton enfant a quel age? Ca due etre choquant pour lui mais quand je te lis et ton parcours face au racisme, je pense que tu vas bien le « preparer » a ce genre de situation.

    • 5 ans. On a essayé d’en faire un non évènement pour qu’elle ne reste pas sur cette mauvaise expérience. l’avantage a cet âge c’est qu’ils sont très ouverts 🙂

  10. Je comprend tellement ce que tu ressens mais rappelle à ta fille que la connerie est universelle. Je suis née en région parisienne d’un père algérien et d’une mère française, quand j’avais environ 4/5 ans dans la fin des années 80 en banlieue de Paris une voiture a failli m’écraser, le monsieur (habillé en militaire avec une femme ressemblant à Marine Le Pen…) est sortit de sa voiture et mon père lui a dit « vous pourriez faire attention », qui a reçu comme réponse « ça ferait un enfant de bougnoule en moins ». La phrase était violente comme l’expression facial de cet homme rempli d’ignorances et de haine, c’est ainsi que je suis devenue une arabe ce soir là, je découvrais le racisme et qui j’étais aux yeux de la société. Depuis je vis ce déséquilibre partout peut être parce que mes yeux se sont trop ouverts mais mon métissage se voit pas, mon nom se lit par contre et mon accent français s’entend. En France j’étais une sale arabe, en Algérie une sale française et au Québec où j’ai immigré il y a qq années pensant y trouver la paix bah là aussi j’ai eu le droit à un « rentre dans ton pays maudite française » (je répondais pour une annonce de logement et à l’époque mon adresse courriel était « .fr » ça se passe de commentaires…) Je rêve d’un endroit où je ne serais ni une française, ni une arabe, ni une métisse juste une humaine mais cet idéal je pense n’existe pas et je compose avec le fait que je me sente nul part chez moi.

    • Je suis désolée de lire ton expérience malheureuse. Après ces gens sont en minorité et tant qu’on garde ca en tête, on peut avancer! Étant moi même déracinée, je comprends un peu ce que tu ressens. Je te souhaite bon courage

  11. C’est donc un francophone à Toronto qui a insulté ta fille ? Ou est-ce la traduction d’un anglophone complètement débile ?

    Je suis curieuse de savoir quel était le cadre car ça me révolte littéralement de lire ton récit. Surtout en s’attaquant à une petite fille ! Honteux. Donc ça arrive aussi à Toronto… J’ai tendance à me mettre des oeillères quand ça parle de racisme au Canada… J’ai tendance à croire qu’à Toronto ça n’existe pas. Et pourtant… Les Canadiens eux-mêmes ne sont pas hyper chauds quand il faut embaucher quelqu’un qui ne vient pas de chez eux…

    • C’était un francophone et oui la connerie est universelle! La première victime de racisme ici a été mon mari…Je trouve que le racisme à Toronto est quand même plus insidieux, moins voyant, moins présent au quotidien. Je me souviens avoir entendu des gens dire en France et en public : je suis raciste et fier de l’être! Avec le politiquement correct qui règne en maitre ici c’est le genre de phrase qu’on n’osera pas sortir en société…
      Pour ce qui est de l’embauche je veux pas faire de généralités mais j’ai l’impression que c’est plus de la préférence nationale. Non? Un immigrant sans expérience locale, passera derrière un Canadien même issu de l’immigration à compétences égales. C’est pas vraiment une question de couleur enfin du peu que j’ai vu hein 🙂

      • Effectivement, préférence nationale dans tous les cas même si tu es devenu Canadien 🙂 Ne serait-ce donc pas raciste en un sens ?

        Tout est plus insidieux en Amérique du Nord malheureusement… J’avais espoir que le raciste n’existe pas vraiment au Canada. La dure réalité est là…

      • @Lisa
        Bonjour,
        Non, point de racisme dans cette préférence tant qu’elle ne génère pas de ségrégation dans le quotidien.
        Par contre, ce qui est tendancieux, et typiquement français contrairement aux nord américains, c’est le fait de considérer que tout ce qui n’est pas physiquement d’origine européenne « ne vient pas de chez nous »… 😉
        (mini Gaou ayant été traitée de « negrèsse » et non de « étrangère »)
        🙂

  12. Et dire qu’on lit sur ce forum guimauve qu’est immigrer.com que le racisme n’existe pas au Canada. Quelle blague !

  13. Le Racisme, que peut-on en dire ou que faire? Je ne cesserai jamais de me poser la question. Lorsqu’on a vécu dans un environnement privilégié, ouvert sur le monde, lorsqu’on a toujours eu le sentiment que notre sexe, et notre couleur de peau ne nous définit pas, que « we can be anything we want to be », des évènements comme ceux-là font toujours atrocément mal et nous questionnent sur ce que nous savons, pensons ou voulons être. En tant que noire et africaine, ayant vécu notamment en France (un des chefs-lieus du racisme banalisé), je me suis interdite à vie, de rendre le mal par le mal. Je cultiverai toujours l’amour et il me semble que c’est que ta mère a aussi cultivé en toi. Oui, ta fille est devenue noire un certain jour d’Avril 2014, mais avec amour, tu lui rendras son statut d’être humain, avant tout et surtout.

Rétroliens

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